Le web 3 face au délit d'initié : Quelle prévention ?

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Ce qu'il faut retenir

Le Web 3, bien que tout juste émergent, n’échappe malheureusement pas aux infractions économiques déjà présentes dans tous les autres secteurs d’activité parmi lesquelles figure le délit d’initié.

Les sociétés émettrices et les sociétés détenant des informations privilégiées doivent mettre en place un cadre de prévention pour pouvoir gérer au mieux les risques de manquements d’initiés.

Pour approfondir

Le Web 3 est un Internet décentralisé, reposant sur des technologies peer-to-peer (blockchain) et permettant à chacun de contrôler pleinement ses données et de participer à la gouvernance du web.

En juin 2022, le Département de la justice américain inculpait, du chef de délit d’initié, l’ancien chef de produit pour OpenSea, la plus importante place de marché pour les NFT.

En juillet 2022, le régulateur américain des marchés (la SEC) et les services du procureur fédéral de Manhattan poursuivaient, du chef de délit d’initié, un Directeur de produit de Coinbase, un portefeuille de devises numériques et une plate-forme d’échange de cryptomonnaies en ligne, et deux de ses proches.

Le procureur de New York en charge des deux affaires précisait que, si l’univers du Web 3 était nouveau, il n’en était pas de même de ce délit et que ce nouvel espace décentralisé n’était pas une zone de non-droit.

Ces propos nous rappellent que, bien qu’un droit spécifique au Web 3 n’ait pas encore été développé, les infractions pénales existantes peuvent déjà participer de la régulation du marché.

Définition du délit d’initié

Le délit d’initié est un abus de marché apparu dans un premier temps aux Etats-Unis avec la réglementation boursière avant d’être transposé en Europe puis en France [1].

Le délit d’initié est le fait pour une personne (un initié) qui, détenant une information privilégiée, a réalisé ou a permis la réalisation, directement ou par personne interposée, d’une ou plusieurs transactions sur le marché boursier ou régulé, voire de gré à gré, avant que celle-ci ne soit révélée au public [2].

L’information privilégiée est une information précise, non publique et confidentielle, concernant un ou plusieurs émetteurs, une ou plusieurs valeurs mobilières, un ou plusieurs contrats à terme négociables ou, un ou plusieurs produits financiers cotés et de nature à influer sur le cours des valeurs, du contrat ou du produit financier [3].

Le caractère privilégié des informations ne saurait résulter de l'analyse que peut en faire celui qui les reçoit et les utilise, mais doit s'apprécier de manière objective, excluant tout arbitraire, et en fonction de leur seul contenu [4].

L’information privilégiée doit être déterminante ce qui signifie que, sans elle, l’opération suspecte n’aurait pas été réalisée. Elle doit porter sur certains types de titre à savoir les instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, ce qui recouvre les actions et les obligations, les produits dérivés et les quotas d’émission carbone [5].

Dans le dossier lié aux cryptomonnaies, l’information privilégiée portait sur des crypto-actifs qui devaient être inscrits sur les Bourses de Coinbase alors que dans le dossier lié aux NFT, l’information privilégiée portait sur le nom des séries de NFT qui bénéficieraient d’un placement en page d’accueil d’OpenSea et ainsi d’une augmentation de leur valeur.

Les initiés sont des détenteurs d’informations privilégiées qui agissent pour leur compte ou qui permettent à des tiers de réaliser des opérations grâce aux renseignements qu’ils ont fournis.

Il existe trois niveaux d’initié :

Les initiés primaires : Ce sont les dirigeants de l’émetteur concerné par l’information privilégiée à savoir le président, le directeur général, les gérants, les administrateurs, les directeurs généraux, les membres du conseil de surveillance ou du directoire et les représentants permanents. Il existe une présomption de connaissance de l’information privilégiée pesant sur ces initiés [6].

Les initiés secondaires : Ce sont les personnes qui disposent d’informations privilégiées à l’occasion de leur profession ou dans le cadre de leurs fonctions (ex : avocat) ou, à l’occasion de leur participation à la commission d’un crime ou d’un délit (ex : piratage). Aucune présomption ne pèse sur eux donc il appartient à l’Autorité de démontrer la connaissance effective de l’information privilégiée.

Les initiés tertiaires : Ce sont les personnes qui disposent d’une information privilégiée en connaissance de cause, indépendamment de leurs fonctions. Cela permet de sanctionner les bénéficiaires indirects de l’information, qui l’utilise ou la communique.

Dans le dossier lié aux crypto-monnaies, l’initié était le Chef de produit chargé d’une liste d’actifs chez Coinbase, membre d’un canal de messagerie privé de la compagnie dédié aux collaborateurs impliqués dans le processus de listage des actifs sur la plateforme (soit un initié secondaire). Celui-ci a usé de ces informations personnellement et les a également fournis à son frère et un ami pour qu’ils en usent à leur tour.

S’agissant du dossier lié aux NFT, l’initié était l’ancien chef de produit pour OpenSea et celui-ci a usé de l’information privilégiée pour acheter des NFT qui prendraient de la valeur et les revendre par la suite.

Dans le laps de temps entre l’acquisition de l’information privilégiée et sa diffusion au public, les initiés peuvent être sanctionnés s’il réalise une ou plusieurs opérations boursières (acquisitions, cessions, etc.) ou s’il annule ou modifie un ou plusieurs ordres passés lorsqu’il ne détenait pas encore l’information privilégiée, que ce soit sur les instruments financiers émis par l’émetteur ou sur ceux concernés par les informations privilégiées.

Le seul fait de disposer d’une information privilégiée n’est pas constitutif du délit d’initié si le comportement de l’initié est légitime, notamment lorsqu’il est habilité à exécuter des ordres pour le compte de tiers.

Le délit d’initié est une infraction intentionnelle et cette intention peut se déduire de la matérialité des faits. Ainsi, et dès lors que la personne savait qu’elle bénéficiait d’une information privilégiée, et qu’elle en a fait usage ou a permis à un tiers d’en faire usage, l’élément moral est caractérisé.

Prévention du délit d’initié

Pour prévenir les risques liés à la survenance d’un délit d’initié, différentes mesures ont été adoptées :

L’établissement d’une liste d’initiés : Pour chaque information privilégiée, les émetteurs doivent établir la liste des initiés. Une liste d’initiés permanents peut également être établie par l’émetteur mais cela implique pour ceux-ci, une présomption d’accès à toutes les informations privilégiées de l’émetteur [7].

La codification des obligations : L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) recommande [8] aux sociétés de formaliser, dans un code de conduite ou déontologique, les obligations incombant aux initiés ainsi que les mesures à prendre qu’elles soient permanentes ou liées à une opérations financière précise.

La formation des initiés :Il est nécessaire de former les initiés ou les personnes susceptibles d’être initiées et de sensibiliser l’ensemble du personnel afin d’inculquer une culture sur la prévention des manquements d’initiés.

La nomination d’un déontologue : L’AMF recommande aux entreprises de nommer un déontologue chargé de donner un avis préalable à toute transaction sur les titres de la société réalisée par un initié ou par tout membre de la société.

L’abstention dans le calendrier des fenêtres négatives : Pendant les périodes dites de fenêtres négatives, les dirigeants d’une société cotée ne doivent en aucun cas effectuer de transaction se rapportant à des instruments financiers liés à l’émetteur. Il est recommandé d’étendre cette interdiction à tous les initiés permanents ou occasionnels. En dehors des fenêtres négatives, les dirigeants et les personnes qui leur sont liées doivent déclarer leurs transactions sur les instruments financiers d’une société cotée dans les 3 jours suivant celles-ci.

Au-delà des solutions imposées par la loi ou les règlements, les entreprises manipulant des informations privilégiées doivent mettre en œuvre un programme de gestion du risque.

Mes préconisations


[1] Directive 2014/57/UE, MAD ; Règlement 596/2014 du 16 avril 2014, MAR ; Loi 2016-819 du 21 juin 2016

[2] Article L.465-1 code monétaire et financier

[3] Cass, crim, 14 juin 2006, n° 05-82.453

[4] Cass, crim, 26 juin 1995, n° 93-81.646

[5] Article L.465-3-4 code monétaire et financier ; Article L.229-7 code de l’environnement

[6] Article L.225-109 code de commerce ; TGI Paris, 24 mars 2006, n° 0131192044 ; Cass, crim, 15 mars 1993, n° 92-82.23

[7] Article 18 du règlement MAR ; Article L.621-18-4 code monétaire et financier

[8] Guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée, AMF

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