Le Conseil d’État a confirmé la légalité de la délibération prise par la Fédération Française de Football modifiant ses statuts et intégrant l’interdiction du port de signes religieux ostensibles, incluant le voile islamique, mais pas seulement, pour les joueurs et joueuses durant les manifestations et compétitions sportives organisées ou autorisées par la Fédération [1].
[1] CE, 29 juin 2023, n° 458088.
La prohibition des signes religieux ostensibles ne fait l’objet que de peu de réglementations, à l’instar de celle qui concerne les établissements scolaires dès lors que les questions religieuses étaient peu nombreuses. Certains estiment aujourd’hui que la loi doit permettre d’éviter l’ingérence des questions religieuses lors des manifestations et compétitions sportives.
Dans l’attente d’une éventuelle loi régissant ces questions, le Conseil d’État a eu à trancher sur l’interdiction faite par la Fédération Française de Football de porter tous les signes religieux ostensibles lors des manifestations et compétitions sportives.
En effet, la Fédération Française de Football a modifié, par une délibération de son Assemblée fédérale du 28 mai 2006, l’article 1er de ses statuts et a introduit une nouvelle clause interdisant de manière explicite, à l’occasion des compétitions ou des manifestations sportives organisées sur son territoire ou en lien avec elle, tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale. Cette décision avait été prise au nom du principe de neutralité du service public qui s’applique aux fédérations sportives qui en ont la charge.
Quinze ans plus tard, en 2021, un collectif de femmes souhaitant porter le hijab pendant les manifestations et compétitions sportives, accompagné par la ligue des droits de l’homme, effectuait un recours administratif préalable auprès de la Fédération, rejeté le 31 août 2021, puis introduisait une action en référé-suspension jugée irrecevable [1]. Le collectif introduisait donc un recours en excès de pouvoir tendant à l’annulation de la délibération pour atteinte excessive à la liberté de manifester ses convictions religieuses et pour méconnaissance du principe de neutralité du service public dès lors que les participants d’une compétition ou d’une manifestation seraient considérés comme des usagers.
Par principe, les Fédérations sportives sont des personnes morales de droit privé dont les actes sont de droit privé et relèvent du juge judiciaire. Pour autant, les Fédérations sportives bénéficient d’un agrément du ministre des Sports leur permettant d’organiser librement les compétitions sportives locales, nationales et internationales [2] et sont donc titulaires d’une mission de service public et peuvent effectuer des actes administratifs.
La jurisprudence a ainsi précisé que les juges du fond devaient déterminer si les actes incriminés étaient de droit privé ou de droit administratif [3] et que, par principe, les statuts et les dispositions du règlement intérieur reprenant les statuts étaient de droit privé et relevaient de la compétence du juge judiciaire [4]. Elle ajoute néanmoins une nuance au critère organique dès lors que l’acte présente un lien avec le service public [5].
C’est ainsi que le Conseil d’État considère que « La Fédération française de football ayant reçu délégation du ministre chargé des Sports, la juridiction administrative est compétente pour connaître des règles édictées par ses statuts si elles manifestent l'usage de prérogatives de puissance publique dans l'exercice de sa mission de service public. ». Le Conseil d’État regarde donc davantage l’objectif de la règle et non seulement son support pour déterminer sa compétence et si les prérogatives de puissance publique ne sont pas clairement exprimées, on pourrait estimer qu’il s’agit du pouvoir disciplinaire, de la protection des joueurs et de la sécurité des évènements.
En réalité, les Fédérations sportives bénéficiant de l’agrément via la souscription d’un contrat d’engagement républicain, et sollicitant l’octroi de subvention, s’engagent à « 1° À respecter les principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République au sens de l'article 2 de la Constitution ; 2° À ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République ; 3° À s'abstenir de toute action portant atteinte à l'ordre public. ». Ces obligations auraient pu être le fondement du critère administratif de l’acte.
Le Conseil d’État rappelle dans un premier temps le principe de neutralité du service public qui s’applique à toute personne agissant dans le cadre d’une mission de service public : « Lorsque la loi ou le règlement confie directement l'exécution d'un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, s'abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité [6]. »
Il convient de rappeler que les sportifs de l’équipe de France ne sont pas des usagers standards, mais bien des personnes sur lesquelles la Fédération exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, notamment en raison d’une sélection et de la possibilité de prononcer des sanctions disciplinaires.
Le Conseil d’État précise également que la Fédération dispose d’un pouvoir réglementaire pour déterminer les règles de participation aux compétitions et manifestations sportives qu’elle organise ou autorise, en particulier pour assurer la sécurité des joueurs. Ces règles peuvent limiter une liberté, même en l’absence d’obligation de respecter le principe de neutralité pour les usagers, dès lors qu’elles ont pour objectif de garantir le bon fonctionnement du service public ou la protection des droits et libertés d’autrui et qu’elles sont proportionnées.
La Fédération peut donc interdire les discours ou affichages à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical ainsi que les actes de prosélytisme ou les manœuvres de propagande faisant obstacle au bon déroulement de la compétition ou de la manifestation sportive. Cette interdiction semble nécessaire pour éviter tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport.
Le Conseil d’État, après une mise en balance entre le principe de neutralité, l’ordre public et la liberté religieuse, précise donc que l’interdiction du port de signes religieux ostensibles pendant le temps de la compétition ou manifestation sportive permet de garantir l’équilibre entre la liberté religieuse et l’ordre public et le principe de neutralité.
La notion d’équilibre entre la liberté religieuse, la neutralité et l’ordre public a également été utilisée dans le cadre de décisions concernant l’interdiction du port du burkini [7] et tend à laisser penser que la violence permet de faire interdire le port de signes religieux ostensibles dans certains contextes, y compris dans les enceintes sportives, dans les piscines ou sur les plages et qu’il convient de s’assurer que les administrations ne cèdent pas à des pressions religieuses permettant à une catégorie d’usagers de déroger à la règle commune.
Des dispositions claires autorisant ou interdisant explicitement le port de signes religieux ostensibles permettraient d’apaiser les tensions et de ne pas modifier les décisions administratives en fonction de l’existence ou non de risques ou de tensions, car les questions religieuses s’immiscent dans de plus en plus de lieux.
[1] CA, ordonnance, 22 novembre 2021, n° 458092.
[2] Article L.131-1 du code du sport : « Elles exercent leur activité en toute indépendance »
[3] Cass, civ 1, 11 février 2003, n° 00-13.761.
[4] CE, 12 décembre 2003, n° 219113.
[5] CE, Ass, 18 décembre 2022, n° 438874.
[6] Article 1, loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
[7] CE, référés, 26 septembre 2016, n° 403578 ; CE, référés, 26 août 2016, n°402742 ; CAA Marseille, 3 juillet 2017, 17MA01337 ; CE, ordonnance,21 juin 2022, n° 464648 ; CE, 17 juillet 2023, n° 475636.