Esport et Swatting : un canular pénalement sanctionnable

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Ce qu'il faut retenir

La swatting, un phénomène américain bien présent en France depuis une dizaine d’années, peut paraître drôle pour ceux qui en sont les acteurs ou spectateurs. En effet, certains ne voient dans ce comportement qu’un canular mais cela peut avoir un impact très important pour la victime directe et sa famille, allant même jusqu’au décès. Le swatting correspond à plusieurs infractions que les juges français ont déjà eu l’occasion de sanctionner et qui seront présentées.

Pour approfondir

Le 11 janvier 2023, Corentin CHEVREY, membre de la team Vitality, était victime de swatting. Un homme aurait appelé la police en usurpant son identité et aurait indiqué avoir tué sa compagne. La brigade d’intervention de la police est donc intervenue chez lui au petit matin, ainsi que chez son père dont la porte a été fracturée.

Ce n’est pas le premier esportif à avoir été touché par cette pratique malveillante. En réalité, la swatting existe depuis les années 2000 et s’est accentué ses dernières années avec l’augmentation de la pratique du streaming. On peut évoquer par exemple les streamers Bibix, Sardoche, Jeel, Xewer ou Pupledjo qui avaient été victimes de swatting en 2015 et 2019.

Cette pratique est apparue aux Etats-Unis et tire son nom des unités d’intervention de la police américaine, à savoir le SWAT. Ce canular consiste à piéger la police, via un appel anonyme pour la forcer à intervenir de toute urgence et à piéger un individu, souvent un gamer ou un streamer, pour voir en direct l’arrivée des forces de l’ordre chez lui. Ce type de canular est parfois utilisé comme vengeance et peut tourner au drame, à l’instar de Andrew Finch qui a été abattu aux Etats-Unis en décembre 2017 à la suite d’un appel reçu évoquant une prise d’otages.

Cette pratique, de plus en plus répandue, qui peut avoir des incidences graves pour les victimes, est pénalement sanctionnable. En 2016, le Tribunal de Créteil condamnait l’auteur, les complices et les receleurs du swatting [1]. Ce jugement évoque les infractions suivantes :

 

L’usurpation d’identité

L’usurpation d’identité est le fait d’usurper ou de faire usage de données d’identification, en vue de troubler la tranquillité d’une personne ou de porter atteinte à son honneur ou sa considération [2]. S’agissant des personnes physiques, peuvent être concernés le prénom, le nom, le pseudonyme, le surnom, etc. L’auteur doit avoir agit sciemment en connaissance de l’usurpation et des conséquences.

En l’espèce, les faits ont été considérés comme relevant de la qualification d’usurpation d’identité en raison de l’usurpation du nom d’une personne et de l’usage de son identité lors d’un appel téléphonique aux forces de police, prétendant qu’il avait poignardé sa conjointe, afin de provoquer l’intervention de la police et donc de porter atteinte à sa tranquillité ainsi qu'à son honneur.

 

La dénonciation de délit imaginaire

Le délit de dénonciation de délit imaginaire est le fait de dénoncer de manière mensongère à une autorité des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit, exposant ainsi les autorités à des recherches inutiles [3]. La dénonciation peut prendre n’importe quelle forme (main courante [4], appel [5], etc.) mais doit résulter d’une démarche personnelle et réfléchie, sans sollicitation extérieure [6]. L’auteur doit par ailleurs avoir agi sciemment en connaissance du caractère imaginaire du délit. 

A la différence de la dénonciation calomnieuse, qui implique la dénonciation d’une personne déterminée, nommée ou identifiable [7], la dénonciation de délit imaginaire ne nécessite pas d’identification précise, la victime étant l’autorité judiciaire [8]. Si l’auteur de l’infraction imaginaire est désigné ou identifiable, les juges du fonds peuvent retenir les deux qualifications, dès lors que les intérêts sont distincts [9] à moins que les deux infractions « procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable » [10]. Pour caractériser les deux, les juges devront identifier deux intentions coupables distinctes.

En l’espèce, l’auteur a été reconnu coupable d’avoir dénoncer de manière mensongère à l’autorité judiciaire des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit - le fait d'avoir poignardé sa conjointe - et d’avoir exposé l’autorité judiciaire à des recherches inutiles, notamment en lançant une intervention au domicile de la personne.

La divulgation de fausses informations de sinistre

Le délit de fausse information est le fait de communiquer ou de divulguer une fausse information dans le but de faire croire qu'une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les personnes va être ou a été commise, ou faire croire à un sinistre lorsque l’information est de nature à provoquer l'intervention inutile des secours [11] .L’information peut être directe ou indirecte et la personne n’a pas obligatoirement à être à l’origine de l’appel dès lors que c’est elle qui a donné les informations qui ont provoqué cet appel et l’intervention inutile des secours [12]. Le sinistre était considéré comme un fait dommageable pour soi-même ou pour autrui, de nature à mettre en jeu la garantie d’un assureur [13] mais cette jurisprudence semble avoir élargi la notion.

En l’espèce, les faits de swatting ont été qualifiés de divulgation de fausses nouvelles destinées à provoquer l’intervention des secours, notamment à raison de la divulgation de fausses informations sur un sinistre, à savoir le fait par une personne d’avoir poignardé sa compagne, ou le fait qu’elle soit potentiellement en grave danger ou dans le coma.

La complicité de violences volontaires aggravées 

Les violences volontaires se caractérisent par tout acte positif de violence ayant eu pour résultat une atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime [14]. L’acte suppose un contact entre l’auteur et la victime mais également un résultat dont dépendra la gravité de la peine (absence d’ITT, ITT de moins de 8 jours, ITT de plus de 8 jours, mutilation, infirmité, décès). L’auteur de l’acte doit avoir eu l’intention de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime sans pour autant rechercher le résultat final [15].

La complicité résulte quant à elle de la facilitation de la préparation ou de la consommation d’un délit, que ce soit de l’aide ou de l’assistance, ou bien de l’instigation par provocation ou par fourniture d’instruction [16]. 

En l’espèce, l’auteur du swatting a été condamné pour complicité de violences volontaires aggravées commis par des tiers non identifiés, avec un ITT de moins de 8 jours (3 et 7 jours), avec préméditation. En effet, l’intervention sans raison des forces de police au domicile des victimes avait causé « un choc émotif et psychologique ».

Les faits semblant similaires à ceux du 11 janvier 2023, les condamnations pourraient être semblables.

Pour l’heure, peu de faits ont été condamnés en France et aucun système ne permet de lutter contre ce phénomène de swatting pourtant de plus en plus présent. Aux Etats-Unis, certains Etats ont décidé d’agir en constituant le fichier « anti-swatting ». Ainsi, lorsqu’une personne estime qu’elle risque d’être victime de ce type d’infraction à raison de son activité professionnelle (journaliste, chroniqueur, streamer, gamer, etc.) notamment, elle peut inscrire ses coordonnées dans le fichier et les forces de l’ordre auront en tête ce risque en cas de demande d’intervention à son adresse. Cela n’enlève pas le choc mais il peut tout le moins éviter des drames.

[1] TGI Créteil, 12e chambre correctionnelle, 30 juin 2016

[2] Article 226-4-1 du code pénal

[3] Article 434-26 du code pénal

[4] Cass, crim, 3 avril 2007, n° 06-84.788

[5] CA, Douai, 16 mai 2007, n° 06/03100

[6] CA, Lyon, 20 juillet 2012, n° 12/388

[7] Cass, crim, 26 juin 2007, n° 06-84.135

[8] CA, Montpellier, 3e chambre correctionnelle, 8 mars 2005, n° 04/00544

[9] Cass,crim, 3 avril 2007, n° 06-84.788

[10] Cass, crim, 25 octobre 2017, n° 16-84.133

[11] Article 322-14 du code pénal

[12] CA, Montpellier, 4 février 2004, n° 03/01635 ; CA Douai, 21 novembre 2002, n° 02/01457

[13] CA, Amiens, 4 avril 1996

[14] Article 222-7 et suivants du code pénal

[15] Cass, crim, 3 janvier 1958

[16] Article 121-7 du code pénal

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