Responsabilité pénale des personnes morales : impossibilité de reconnaitre la faute délibérée après la relaxe du dirigeant

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Ce qu'il faut retenir

L’autorité de la chose jugée au pénal empêche les juges de la Cour d’Appel de condamner la personne morale pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité alors que le dirigeant, représentant de la personne morale, a été relaxé de cette infraction en première instance et que la décision est passée en force de chose jugée (Cass, crim, 21 mars 2023, n° 21-84.903).

Pour approfondir

La responsabilité du représentant et de la personne morale

Par principe, le chef d’entreprise est pénalement responsable lorsque son action ou son abstention, dans le cadre des fonctions, est constitutif d’une infraction. Pèse sur lui une présomption de sa responsabilité pénale notamment en cas d’accident survenu dans le cadre de l’activité professionnelle [1].

Celui-ci peut toutefois s’exonérer de sa responsabilité pénale en rapportant la preuve d’une délégation de pouvoirs pour que pèse sur le délégataire la responsabilité pénale [2]. Pour être valable, la délégation doit être nécessaire et spécifique, doit être faite dans le cadre d’un lien de subordination et être acceptée étant entendu que le délégataire doit avoir la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires pour exercer la mission confiée [3]. Il appartiendra au chef d’entreprise de rapporter la preuve de cette délégation [4].

La personne morale, quant à elle, est pénalement responsable des infractions commises pour son compte par ses organes ou ses représentants. Cela suppose donc la nécessaire démonstration d’une faute personnelle de l’organe ou du représentant de la personne morale et son identification. Le représentant n’a pas obligatoirement à être condamné mais il semblerait que, désormais avec l’arrêt du 21 mars 2023, la relaxe du représentant entrave l’engagement de la responsabilité de la personne morale.

 

Notion d’autorité de la chose jugée

En matière pénale, l'autorité de la chose jugée est le principe selon lequel une décision de justice pénale définitive ne peut plus être remise en cause par les mêmes parties ou leurs ayants droit. Autrement dit, une fois qu'une décision de justice pénale a acquis l'autorité de la chose jugée, l'auteur de l'infraction ne peut plus être poursuivi pour les mêmes faits. Seul l’erreur de droit ou de fait ayant conduit une erreur judiciaire, ou la révélation de faits nouveaux font exception à ce principe.

Par exemple, la Cour de cassation a affirmé que l'autorité de la chose jugée s'étend non seulement à la qualification juridique des faits, mais également à leur existence même. En d'autres termes, si une décision de justice pénale a statué sur l'existence de l'infraction, cette question ne pourra plus être remise en cause.

 

Rappel des faits et de la décision

Un salarié est décédé à la suite d'un accident du travail en nettoyant un palettiseur. Le responsable du site et la société coopérative ont été poursuivis pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

Les juges du premier degré ont relaxé le responsable du site du chef d'homicide involontaire en excluant la violation manifestement délibérée d'une obligation et ont déclaré, après requalification, la société coopérative coupable d'homicide involontaire par personne morale dans le cadre du travail. La société coopérative et le ministère public ont relevé appel de la condamnation prononcée à l'égard de la société coopérative mais aucun appel n’a été formulé concernant la relaxe du responsable du site.

La cour d'appel de Rennes a confirmé la condamnation de la société coopérative pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail. Elle a retenu que les manquements reprochés ont été commis par le responsable du site, représentant de la société coopérative, dans l'exercice des fonctions qui lui avaient été conférées par la personne morale.

La société coopérative a formé un pourvoi en cassation.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé l'arrêt de la cour d'appel de Rennes qui avait condamné la société coopérative pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail.

Elle considère en effet que la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à la décision de relaxe du responsable du site du chef d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation en retenant une faute identique à celle qui avait été écartée par une décision devenue définitive [5].

Répercussions

Si par le passé la relaxe d’un dirigeant n’empêchait pas la condamnation de la personne morale, cela ne sera désormais plus le cas. En effet, si le dirigeant est relaxé c’est que la juridiction estime qu’il n’y a pas de violation manifestement délibérée d'une obligation et en l’absence d’une telle violation, l’infraction ne peut être caractérisée à l’encontre de la personne morale.

Avec cette décision, il y a un risque plus important pour le dirigeant qui est poursuivi d’être condamné afin que la personne morale puisse l’être également.


[1] Cass, crim, 19 novembre 1998, n° 97-83.428

[2] Cass, crim, 11 mars 1993, n° 91-80.598

[3] Cass, crim, 23 novembre 2004, n° 86-92.514

[4] Article 427 du code de procédure pénale

[5] Cass, crim, 21 mars 2023, n° 21-84.903

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