Pluralité de sociétés et responsabilité pénale : identification de l’organe ou du représentant

Contactez-moi

Ce qu'il faut retenir

La société mère, présidente de sa filiale, est considérée comme étant "un organe ou un représentant" de celle-ci, permettant ainsi d’engager sa responsabilité pénale même en l’absence de délégation de pouvoirs valable.

La société mère, dirigeante, peut voir sa responsabilité pénale personnelle engagée en l’absence de délégation de pouvoirs, mais il convient, pour cela, d’identifier précisément l’organe ou le représentant de celle-ci.

Pour approfondir

Le salarié d’une société exploitant un site d’industrie du textile a subi un accident du travail sur une machine « ouvreuse-broyeuse » destinée à produire de la ouate. La société employeuse, la société-mère, présidente de celle-ci, et le directeur du site ont été poursuivis des chefs de blessures involontaires suivies d’une incapacité totale de travail supérieure à trois mois et de non-respect des mesures relatives à l’hygiène, la sécurité ou les conditions de travail.

Les juges du Tribunal correctionnel les ont tous les trois déclarés coupables pour l’ensemble des chefs évoqués. Ils ont donc, accompagné du Ministère public, relevé appel de cette décision. La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 24 novembre 2020, a condamné, pour blessures involontaires, la société employeuse à 20.000 euros d’amende et la société mère à 40.000 euros d’amende et pour infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs, la société employeuse à deux amendes de 5.000 euros. Les sociétés se sont pourvues en cassation.

L’absence de délégation de pouvoirs

Pour rappel, pèse sur le chef d’entreprise un devoir général de veiller à la sécurité de ses salariés, ce qui implique une présomption de sa responsabilité pénale en cas d’accident survenu dans le cadre de l’activité professionnelle [1].

Ce dernier peut toutefois s’exonérer de cette responsabilité pénale en rapportant la preuve d’une délégation de pouvoirs. Dès lors, la responsabilité pénale pèse sur le délégataire [2].Ce dernier pourra également s’exonérer de cette responsabilité pénale s’il rapporte la preuve d’une subdélégation. Dans ce cas, la responsabilité pénale pèse sur le subdélégataire [3].

Pour produire ses effets, la délégation, ou la subdélégation, doit répondre à certaines conditions :

·      ‍la délégation doit être nécessaire ;

·      ‍la délégation suppose un lien de subordination entre le délégant et le délégataire ;

·      ‍la délégation doit avoir été acceptée par le délégataire ;

·      ‍le délégataire doit avoir la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires pour exercer la mission qui lui a été confiée.

Les juges rappellent que l’employeur doit prévoir la présence sur le site d’un délégataire ou doit exercer lui-même la surveillance indispensable à l’application effective de la réglementation relative à l’hygiène, la santé et la sécurité des salariés.

En l’espèce, la Cour d’appel et la Chambre criminelle constatent l’absence de délégation de pouvoirs valable donnée au Directeur d’usine de la société employeuse. Elles relèvent que la société mère, en qualité de présidente, aurait dû s’assurer de l’application effective de la réglementation relative à l’hygiène, la santé et la sécurité des salariés et qu’un manquement à cette obligation existe.

L’organe ou représentant de la société employeuse : la société mère présidente

La responsabilité de la personne morale nécessite la preuve d’une personnalité juridique, d’une infraction, et de sa commission par "un organe ou un représentant", au nom et pour le compte de la personne morale [4]. Les juges ont pour obligation de préciser que l’infraction a été commise par des organes et représentants mais également de les identifier.

La jurisprudence a déjà confirmé que le gérant de la société était considéré comme un organe ou un représentant de la personne morale, qui agit au nom et pour son compte [5].

En l’espèce, la Cour d’appel et la Chambre criminelle ont estimé que la société mère, en qualité de présidente de la société employeuse, sa filiale, était sa représentante légale et par conséquent "son organe ou son représentant", permettant ainsi d’engager la responsabilité pénale de la société employeuse pour des faits de blessures involontaires commis par le manquement de son dirigeant à son obligation.

En effet, en l’absence de délégation de pouvoirs, la société mère, en qualité de dirigeante, avait pour obligation d’assurer le respect des règles relatives à l’hygiène, la santé et la sécurité des salariés [6].

L’organe ou représentant de la société mère présidente : l’absence d’identification

Si la Chambre criminelle de la Cour de cassation précisait en 2021 [7] que des salariés et un comité d’une filiale pouvaient être considérés comme ayant agit au nom et pour le compte de la société mère, en qualité d'organe ou de représentant, c’est en raison de « l’existence de l’organisation transversale propre au groupe et des missions qui leurs étaient confiées, peu important l’absence de lien juridique et de délégation de pouvoirs à leur profit ».

Cet arrêt ne permet toutefois pas d’affirmer que les salariés et le comité d’une filiale sont, en toutes circonstances, des organes ou représentants de la société mère.

En l’espèce, le Directeur du site n’était pas salarié de la société mère mais salarié de sa filiale, la société employeuse. Ainsi, le Directeur du site, comme la société employeuse, la filiale, ne sont pas des organes ou représentants de la société mère permettant d’engager sa responsabilité pénale.

Ainsi, en l’absence d’identification précise de l’organe ou du représentant de la société mère ayant commis l’infraction, il n’est pas possible d’engager sa responsabilité pénale alors même que la responsabilité personnelle du dirigeant pouvait être engagée pour manquement à son obligation [8].

Mes préconisations


[1] Cass, Crim, 19 novembre 1998, n° 97-83.428

[2] Cass, Crim, 11 mars 1993, n° 91-80.598

[3] Cass, Crim, 30 octobre 1996, n° 94-83.650

[4] Article 121-2 du code pénal

[5] Cass, Crim, 28 octobre 2020, n° 19-85.037

[6] Cass, Crim, 15 février 2022, n° 20-81.450

[7] Cass, Crim, 16 juin 2021, n° 20-83.098

[8] Cass, Crim, 21 juin 2022, n° 20-86.857

Bénéficiaires effectifs et accès aux informations par le grand public : invalidation du dispositif

23/1/2023

DSA : Des obligations visant à protéger les utilisateurs contre les contenus illégaux

28/11/2022

DMA : Des obligations visant les géants du numérique

21/11/2022

Pluralité de sociétés et responsabilité pénale : identification de l’organe ou du représentant

28/10/2022