Le 19 juin 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt significatif en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCBFT). La Cour a décidé que le non-respect des obligations de vigilance par les assujettis peut entraîner des condamnations pénales pour blanchiment d'argent. Cette décision s'inscrit dans le prolongement d'un arrêt de septembre 2023 qui avait déjà souligné que la non-conformité aux normes LCBFT constitue un avantage concurrentiel indu, justifiant des dommages-intérêts pour les concurrents.
L'affaire concernait un groupe de sociétés impliqué dans une escroquerie de type « chaîne de Ponzi » et la banque qui leur avait permis de transférer des fonds vers des comptes étrangers sans exercer une vigilance suffisante. La Cour de cassation a conclu que les manquements de la banque aux obligations de vigilance constituaient une participation aux opérations de blanchiment, malgré la relaxation initiale en première instance.
Alors que le 19 juin 2024 était publié au Journal officiel de l’Union européenne un ensemble de règles relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, le même jour, la Cour de cassation rendait un arrêt étendant une nouvelle fois la responsabilité des assujettis aux règles LCBFT, considérant désormais qu’un manquement à la réglementation LCBFT pouvait entrainer la condamnation pénale de ceux-ci pour blanchiment d’argent.
Le 27 septembre 2023 [1], la chambre commerciale de la Cour de cassation avait déjà marqué un tournant crucial, considérant que la non-conformité aux normes de LCBFT par un assujetti était un avantage concurrentiel indu par rapport à ses concurrents [2], ouvrant droit à des dommages intérêts pour ces derniers.
Désormais, la non-conformité aux obligations LCBFT peut permettre l’engagement de la responsabilité pénale d’un assujetti.
En l’espèce, il était porté à la connaissance du parquet des faits susceptibles d’emporter une qualification pénale. Ces faits auraient été commis par un groupe de sociétés et permettaient de suspecter une escroquerie de type « Chaîne de Ponzi ». Ce type de manœuvres consiste à inviter des clients à investir dans un projet et à les rémunérer avec les fonds apportés par les nouveaux arrivants et non le fruit du capital investi car celui-ci n’a jamais servi à investir dans ce projet.
En sus du renvoi devant le Tribunal correctionnel des dirigeants du groupe de sociétés, le juge d’instruction renvoyait également la banque considérant qu’elle avait apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation ou de conservation du produit direct ou indirect des délits reprochés aux premiers. Elle est accusée de leur avoir permis d’effectuer au moyen d’un compte, des virements à destination de comptes bancaires étrangers, domiciliés notamment à Hong Kong et en Indonésie alors qu’en qualité d’assujetti aux dispositions LCBFT du code monétaire et financier elle aurait dû mettre en place une vigilance renforcée.
En première instance, le Tribunal correctionnel condamnait les dirigeants du groupe de sociétés et relaxait la banque. Le procureur de la République interjetait appel de cette décision et la Cour d’Appel condamnait la banque pour les faits de blanchiment aggravé.
La Cour d’Appel considérait que l’élément matériel du blanchiment était caractérisé par un acte matériel de concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit. Elle considérait que la méconnaissance des obligations de vigilance LCBFT et de déclaration de soupçon suffisait à établir cet élément matériel. Elle précise que la banque a prêté son concours aux prévenus et que cela est assimilable à un soutien abusif dès lors qu’elle n’aurait pas mis en place une vigilance renforcée et réalisé une déclaration de soupçon malgré les signaux d’alarme multiples. Elle considère que, malgré la sollicitation de justificatifs, leur traitement n’avait pas été suffisant.
Concernant l’élément moral, la Cour d’Appel considérait que la banque ne pouvait ignorer que des flux frauduleux circulaient sur le compte qu’elle gérait, car il s’agissait de flux sensibles en raison de la destination de ceux-ci vers des pays sur liste grise et que les rapports d’activité alertaient sur le risque lié à l’existence de « Chaînes de Ponzi ».
La banque se pourvoyait en cassation. La question était de savoir si la méconnaissance des obligations LCBFT par la banque permettait une condamnation pour l’infraction de blanchiment aggravé.
Dans son arrêt du 19 juin 2024 [3], la Cour de cassation considère que le seul manquement de la banque aux obligations de vigilance ne constitue pas un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client. En revanche, elle considère que la mise à disposition d’un compte bancaire dans l’un de ses établissements et l’exécution d’ordres de virement des sommes y figurant vers des comptes étrangers sont susceptibles de caractériser la participation de la banque à des opérations de blanchiment.
La Cour de cassation considère également qu’au regard des informations dont elle disposait depuis plusieurs années sur le fonctionnement du compte litigieux, la banque ne pouvait ignorer l’origine frauduleuse des fonds caractérisant ainsi l’élément moral du blanchiment.
Elle ajoute enfin que, malgré les informations détenues, la banque n’a pas réalisé de déclaration de soupçon, ce pourquoi doit être écartée l’immunité pénale prévue pour les personnes ayant de bonne foi fait une déclaration de soupçon.
En tout état de cause, le non-respect des obligations LCBFT ne constitue pas en soi un élément matériel de l’infraction de blanchiment. C’est la fourniture d’un compte bancaire et l’exécution de virements anormaux qui constituent une participation à des opérations de blanchiment. C’est ainsi un acte positif qui permet de qualifier cette infraction et non seulement une négligence.
Il reste néanmoins crucial de veiller à la mise en place d’un dispositif LCBFT et à son application effective. Les professionnels assujettis doivent mettre en place des systèmes de contrôle internes efficaces pour détecter les transactions suspectes et les signaler auprès de TRACFIN.
[1] Cass, com, 27 septembre 2023, n° 21-21.995.
[2] https://finascope.fr/avis-d-expert/non-respect-de-la-lcb-ft-et-concurrence-deloyale-un-critere-important-pour-les-investisseurs/
[3] Cass, crim, 19 juin 2024, n° 22-81.808.