Le 14 décembre 2023, le Conseil de l’UE et le Parlement parvenaient à un accord sur la Directive devoir de vigilance (CS3D – Corporate Sustainability Due Diligence Directive) et ce en parallèle de l’adoption de la CSRD et de sa transposition.
Cette directive a pour vocation d’élargir le nombre d’entreprises assujetties, d’accroître les obligations, d’instaurer une autorité de contrôle et des sanctions, et d’instaurer la possibilité d’engager des poursuites dans les cinq ans contre les assujettis.
Si les ONG évoquent certains manquements liés à l’intervention des lobbies, notamment en raison de l’exclusion du secteur financier, ce texte demeure une avancée majeure pour la protection des droits de l’homme et de l’environnement.
Les enjeux liés aux droits de l’homme et à l’environnement entraient déjà dans les débats depuis plusieurs années, mais la responsabilisation des entreprises était davantage basée sur une démarche volontaire de ces dernières. En effet, l’OCDE en 2011 et les Nations Unies en 2012 émettaient des principes directeurs non impératifs pour aider les entreprises à mettre en œuvre des démarches de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Si certaines organisations internationales préconisaient déjà l’édiction d’obligations plus contraignantes au niveau international et national, c’est à la suite du drame du Rana Plaza du 24 avril 2013 au Bangladesh que l’opinion publique se modifiait considérablement. La société civile devenait plus critique sur le mode actuel de consommation en raison du fonctionnement et de l’impact de la chaine de valeur opaque de certaines entreprises.
En réponse à cette demande importante de la société civile, le 26 juin 2014 était adoptée la résolution 26/9 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies avec pour objectif de créer un groupe de travail pour élaborer un traité. Le 25 septembre 2015, 193 pays ont adopté à l’ONU le programme de développement durable à l’horizon 2030, qui définit 17 objectifs de développement durable (ODD).
Au-delà de ces initiatives internationales, c’est au niveau national, plus particulièrement en Europe, que la responsabilisation des entreprises en matière de droits de l’homme et d’environnement est devenu plus contraignante. En effet, la France a joué un rôle précurseur en la matière en établissant un devoir de vigilance pour les entreprises sur l’ensemble de leur chaîne de valeur en 2017. D’autres pays européens tels que les Pays-Bas, la Norvège, ou l’Allemagne ont suivi ce chemin, démontrant un certain consensus.
Dans l’objectif d’harmoniser le devoir de vigilance (CS3D) au niveau européen, la responsabilisation des entreprises en matière de préservation de l’environnement et de respect des droits de l’homme au travers de leur chaîne de valeur, une proposition de directive avait été présentée le 23 février 2022.
Cette directive était adoptée, en parallèle de la directive CSRD sur le reporting extra-financier (Directive(UE) 2022/2464 du 14/12/2022), par le Conseil de l’UE le 1erdécembre 2022 et par le Parlement le 1er juin 2023.
Concomitamment à la transposition de la directive CSRD via l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 et à l’issue des discussions trilogues, le Parlement européen et le Conseil se parvenait à un accord le 14 décembre 2023 sur le devoir de vigilance européen.
La directive s’appliquera :
Si le périmètre de la directive est beaucoup plus large que la loi française qui ne concerne que les entreprises de plus de 5.000 salariés en France (ou 10.000 salariés en France et à l’étranger), l’accord trouvé exclut tous les services financiers de l’obligation de vigilance, renvoyant leur inclusion à une législation future incertaine.
La directive permettra également d’inclure, en France, les SARL, alors que jusqu’alors seules les SA, SAS et SCA étaient concernées.
Elle concernerait par ailleurs l’ensemble de la chaîne de valeur et pas seulement la chaîne d’approvisionnement. Cela comprendrait donc les activités en amont, à savoir la conception, l’extraction, la fabrication, le transport, le stockage, la fourniture, et les activités en aval, à savoir la distribution, le transport, le stockage, le démantèlement, le recyclage, etc.
L’accord informel entre les co-législateurs impose aux entreprises assujetties, une obligation de surveiller leurs impacts négatifs sur les droits humaines et sur l’environnement et une obligation d’intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques (code de conduite, procédures) et leurs systèmes de gestion des risques avec une description de la démarche, du fonctionnement et du code de conduite.
Les entreprises ont l’obligation d’identifier, évaluer, prévenir, atténuer, mettre fin et remédier à l’impact négatif de leurs activités sur les personnes et sur la planète, ainsi que celui de leurs partenaires (production, approvisionnement, transport, stockage, conception, distribution). Les entreprises ont l’obligation de recenser les incidences négatives réelles ou potentielles, de prévenir, atténuer ou mettre à terme celles-ci.
Pour mener à bien ces obligations, les entreprises devront faire des investissements, demander des assurances contractuelles, améliorer leur business plan et apporter un soutien à leurs partenaires lorsqu’il s’agit de petites structures.
Les entreprises auront également l’obligation d’introduire un mécanisme de plainte (dispositif d’alerte) et de communiquer sur leurs politiques de devoir de vigilance et d’en surveiller régulièrement l’efficacité.
Ces entreprises devront adopter un plan garantissant que le modèle est conforme aux efforts mis en œuvre pour contenir le réchauffement climatique à 1,5 °C et donc compatible avec l’accord de Paris sur le changement climatique.
Si la RSE et la compliance étaient déjà des points très importants dans de nombreux appels d’offres, notamment dans le cadre de la présentation de l’entreprise, l’accord permet désormais d’établir la conformité avec le devoir de vigilance comme un critère pour obtenir des contrats publics. La compliance devient donc de plus en plus un avantage concurrentiel pour ceux qui mettent en place des dispositifs efficaces et devient une entrave pour ceux qui ne se conforment pas.
L’accord « facilite l’accès à la justice des personnes affectées » par l’action des entreprises. Ces personnes pourront en effet intenter un procès aux sociétés concernées durant cinq ans. Pour les plaignants, « la divulgation des preuves, les mesures d’injonction et les coûts de la procédure » sont limités.
Les entreprises peuvent être reconnues responsables du non-respect de leurs obligations liées au devoir de vigilance et les victimes ont un droit à indemnisation pour des dommages-intérêts.
À la différence de la loi française qui n’instaurait aucune autorité de contrôle et aucune sanction en cas d’absence de conformité, la directive indique que chaque État de l’Union européenne devra désigner une autorité de contrôle chargée de vérifier si les entreprises respectent leurs obligations et chargé d’émettre des recommandations et orientations.
Cette nouvelle autorité pourrait mettre en œuvre des inspections et des enquêtes, et pourrait imposer des sanctions en cas de non-conformité, notamment une amende de 5 % du chiffre d’affaires net mondial.
Si cette directive tend à étendre le devoir de vigilance à davantage d’entreprises, la société civile reproche à certains États, et notamment la France, d’avoir cédé aux lobbies et d’avoir plaidé pour l’exclusion des services financiers ou contre la reconnaissance des droits des peuples autochtones.
L’exclusion du secteur financier paraît incompréhensible pour les ONG, d’autant que le devoir de vigilance français s’applique déjà à ce secteur et que la BNP PARIBAS fait déjà l’objet de deux actions en justice sur ce fondement.
La société civile estime que cette exclusion permettrait aux acteurs de la finance de perpétuer le soutien de projets et entreprises dangereuses pour l’environnement et les droits humains, via des investissements.